La dominance chez le chien : mythe ou réalité ?
L’idée que les chiens cherchent à dominer les humains ou leurs congénères est encore aujourd’hui largement répandue. Elle influence de nombreuses pratiques éducatives, souvent basées sur le contrôle, la soumission ou la punition.
Mais que dit vraiment la science ? Et d’où vient cette notion de “chien dominant” ?
Dans cet article, on démêle le vrai du faux, en s’appuyant sur des connaissances actualisées en éthologie canine. L’objectif : vous offrir une meilleure compréhension du comportement de votre chien, pour bâtir une relation plus juste et respectueuse.
Aux origines du mythe : les loups et David Mech
La théorie de la dominance chez le chien trouve son origine dans des recherches sur… les loups.
Dans les années 1970, le biologiste David Mech observe des comportements hiérarchiques dans des groupes de loups en captivité. Il en conclut qu’il existe une structure de « meute » dominée par un couple alpha, et que chaque individu cherche à grimper dans la hiérarchie.
Cette vision influence durablement notre perception du chien. On commence à voir nos compagnons comme des « loups domestiqués » cherchant à nous dominer s’ils en ont l’occasion.
❗ Sauf que…
David Mech lui-même est revenu sur ses conclusions.
Il a reconnu que ses observations étaient biaisées : les loups étudiés n’étaient pas une vraie meute naturelle, mais des individus étrangers regroupés artificiellement dans un enclos. Leur comportement était donc atypique.
Dans la nature, les meutes sont des structures familiales composées de parents et de leurs jeunes. Il n’y a pas de luttes permanentes pour le pouvoir : les relations sont stables, coopératives et organisées autour de la parentalité.
📖 Pour aller plus loin :
David Mech, “Alpha Status, Dominance, and Division of Labor in Wolf Packs” (1999)
Vidéo courte de Mech expliquant son revirement : YouTube – « David Mech Explains the Alpha Wolf Myth »
Le chien n’est pas un loup domestiqué
Beaucoup de gens pensent encore que le chien est le descendant direct du loup, et qu’il en a gardé l’instinct hiérarchique.
Mais cette vision est largement dépassée.
Les chiens (Canis lupus familiaris) et les loups (Canis lupus) ont un ancêtre commun, mais leurs chemins évolutifs se sont séparés il y a des milliers d’années.
Le chien s’est adapté à la vie aux côtés des humains, développant des comportements et des compétences sociales spécifiques.
Il ne vit pas en meute comme le loup. Il ne raisonne pas en termes de rang ou de domination.
Il vit en groupe social flexible, souvent orienté vers la coopération avec l’humain.
Pourquoi certains chiens “dominent” alors ?
Ce qu’on interprète comme des comportements de dominance sont souvent des manifestations de stress, d’incompréhension ou de besoin non comblé :
Un chien qui tire en laisse n’essaie pas de “prendre le contrôle”, il veut juste avancer vers quelque chose qui l’attire, ou s’éloigner de ce qui l’angoisse.
Un chien qui monte sur le canapé ne “vous teste” pas. Il cherche un endroit confortable ou qui sent votre odeur.
Un chien qui grogne n’est pas « insolent », il communique un malaise.
En interprétant ces comportements comme des défis d’autorité, on risque de répondre par le conflit, au lieu d’écouter ce que le chien tente d’exprimer.
Les dangers de la théorie de la dominance
Insister sur une lecture hiérarchique du comportement canin peut mener à :
Des méthodes coercitives (punition, intimidation, collier étrangleur, etc.)
Une perte de confiance entre le chien et l’humain
Des troubles émotionnels chez le chien (anxiété, inhibition, agressivité défensive)
À long terme, cela détériore la relation, au lieu de la renforcer.
Une autre manière de voir le chien
Et si, au lieu de chercher à contrôler ou “dominer” son chien, on apprenait à le comprendre ?
Les comportements du chien ont toujours une fonction. Derrière chaque action, il y a une émotion, un besoin, une tentative de communication.
Adopter une approche respectueuse, c’est :
Observer ses signaux corporels
Identifier les causes de son comportement
Répondre avec empathie et pédagogie
Créer un cadre clair, mais sécurisant
Pour aller plus loin
Voici quelques ressources pertinentes si vous souhaitez approfondir le sujet :
🔍 Articles & études :
David Mech – “Alpha Status, Dominance, and Division of Labor in Wolf Packs” (1999)
Bradshaw, J.W.S. – “Dominance in domestic dogs—useful construct or bad habit?” (Journal of Veterinary Behavior, 2009)
📖 Livres :
“L’animal est-il un homme comme les autres ?” – Karine Lou Matignon (explore les émotions et la conscience animale)
“Dans la tête d’un chien” – Alexandra Horowitz
“Dog Sense” – John Bradshaw (en anglais, très accessible)
🎥 Documentaires & vidéos :
The Rise of Dogs (National Geographic)
Dogs Decoded (Nova / PBS)
Comment le chien a conquis le monde (Arte)
En conclusion
La notion de dominance chez le chien est un mythe basé sur des interprétations erronées et obsolètes.
Elle empêche de voir le chien pour ce qu’il est réellement : un être social, émotionnel, et profondément attaché à la coopération avec l’humain.
Mieux vaut chercher à comprendre ses comportements, plutôt que de les contrôler.
Observer, écouter, accompagner avec respect — voilà la vraie force d’une relation équilibrée.